LA FABRIQUE DE LUDES

 

Nous avons vu apparaître dans le texte le mot « fabrique ».

La fabrique est l'établissement qui représente et administre les intérêts temporels d'une église publique, qui peut acquérir, aliéner, administrer les biens. Toute paroisse doit être dotée d'un conseil de Fabrique, qui gère tous les biens et revenus de la paroisse (revenus des biens immeubles, produit des rentes, location des bancs et des chaises, produit des quêtes, des troncs, des inhumations, dons et legs.)

 

La Fabrique était un organisme par lequel on désignait l'ensemble des personnes, marguilliers ou fabriciens, nommés officiellement pour administrer les biens de la paroisse. Ce nom désignait également tous les biens et revenus de l'église. Supprimée à la révolution, la Fabrique a été rétablie par le concordat entre Pie VII et le premier Consul, le 15 juillet 1801. La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation de l'église et de l'état a supprimé définitivement la Fabrique.

 

Les Fabriques avaient été fondées pour deux raisons : décharger les curés d'une administration à laquelle ils étaient souvent mal préparés et d'une responsabilité quelque fois lourde et à laquelle on n'était pas fâché de substituer celle des laïques. Des irrégularités plus ou moins involontaires se constataient dans les comptes de certains curés. Des prêtres pouvaient mettre en péril les biens à eux confiés et l’on n’avait alors aucun recours contre eux.

 

Entre l'église et le village il n'est pas de lien plus étroit que celui du cimetière. Il appartient à l'église, et la fabrique l'administre parfois avec une attention défaillante ; les clôtures n'étaient pas entretenues, le terrain était envahi par les bestiaux qui venaient y paître, les femmes y étendaient leur linge ; on y déposait le bois, planches et perches nécessaires à certains travaux. C'était l'endroit où l'on parlait et où quelquefois des soudards avinés en venaient aux mains.

 

Un édit d'avril 1695 porte que les habitants des paroisses sont tenus d'entretenir et de réparer la clôture du cimetière qui doit être béni et clos.

 

Le nombre des membres de la fabrique varie de un à quatre. Les marguilliers sont élus par l'assemblée générale des habitants.

 

L'élection se fit longtemps d'après le principe du suffrage universel. Au 17ème siècle on restreint ce droit, dans certaines campagnes, à ceux qui paient un certain minimum de tailles. Elu ou nommé, le marguillier est tenu d'accepter les fonctions.

Il est choisi obligatoirement parmi les paroissiens, doit être laïc, de bonnes vie et mœurs, savoir lire et écrire. Si l'on ne sait rien sur leur moralité, une chose est certaine ; ils ne savaient pas tous écrire. Ils sont nommés plus pour leur bonne volonté que pour leur connaissance de la comptabilité ou de l'écriture. Certaines nominations devaient être le fruit de la collusion de certains habitants contre tel ou tel voisin. On n'était pas trop mécontent de pouvoir se venger de la sorte. Et comme l'heureux élu ne pouvait pas refuser...

Et pourtant, leurs fonctions revêtent théoriquement une importance capitale pour la vie religieuse.

Ils sont responsables de l'entretien de l'église, de son aération et de sa décoration ; ils ont la garde du mobilier qu'ils doivent inventorier chaque année et conserver en bon état : linge, nappes d'autel, aubes, surplis, bonnet carré de Monsieur le curé, bas et chapeau du suisse, croix, aspersoir, burettes, campane, ornements sacerdotaux.

Ils administrent les fonds, perçoivent les revenus, acquittent toutes les charges du culte dont ils doivent respecter strictement les usages. Il est nécessaire que l'ordre règne et qu'une gestion saine soit mise en place.

Leurs pouvoirs se bornent certes, à des actes d'administration. Ils ne peuvent prendre de décisions importantes : constructions nouvelles, dépenses extraordinaires sont du ressort de l'Assemblée générale de la paroisse.

Mission plus grave, ils ont aussi à faire respecter les usages, régularité de la grand-messe, exécution des fondations, distribution de pain bénit, sonnerie de cloches, occupation des bancs, chapelles, nomination des serviteurs ordinaires, autorisation des quêtes et des confréries.

 

         Le pouillé de 1777 mentionne la maison de M. Canel de Torelle comme possédant une chapelle autorisée.

 

         En 1789, quelques parties en appartenaient au commandeur de Reims, à M. de Cambray, à Mesdames de France, à M. Coquebert de Montfort.

 

         En réalité, il n'y eut que deux seigneurs résidants au pays : un monsieur de Ludes, dont la famille s'éteint avant la révolution, sa maison était fort remarquable par sa simplicité. Ses droits se sont combinés en partie avec ceux de Monsieur Coquebert de Montfort et achetés par Monsieur de Cambray. Sa maison était située à l'emplacement du « château » rue Victor Hugo.

 

         Quoique Monsieur Coquebert de Montfort n'ait point émigré à la révolution, sa maison n'est plus ce qu'elle était primitivement. Le nombre de ses tours carrées est diminué, et sa chapelle est entièrement disparue. Cette chapelle faisait partie de l'aile de la maison, le long du jardin en descendant vers la ferme. Elle pouvait contenir une centaine de personnes. Quand il y avait un vicaire à Ludes, il y disait la messe de temps en temps, ainsi que les religieux-mendiants de passage, surtout en temps de vendanges. Un petit clocheton avec deux petites cloches la distinguait du reste des bâtiments.

 

         Le dernier seigneur de Ludes s'appelait de Toussicourt. Son fils, qu'on appelait Chevalier de Ludes, s'occupait de recrues et est mort à l'armée sans postérité.

         Deux autres seigneurs avaient leur résidence, l'un à Sillery, l'autre à Louvois.

 

         Celui de Sillery, possédait à Ludes un vieux manoir avec tours forts hautes et même une prison en forme de cachot. Il a disparu et le terrain appartient à Monsieur Gaidoz-Forget. Le marquis de Sillery prenait le nom tantôt de Vicomte, tantôt de seigneur de Ludes.

 

         En 1444, Reims se soumit au baillage du Vermandois, de là vint que la coutume "vermandoise" servit à régler les actes et contrats de notre pays.

        Le Temple possédait à Ludes le droit d'asile vers le Sanctuaire de l'Eglise, la rue et les maisons adjacentes ; l'Eglise se trouvait alors au centre de l'agglomération, bordant le rude chemin qui grimpe vers Ville en Selve.

 

         Le Temple se servait du portique de l'entrée du cimetière dit "porte du petit St Jean" pour entendre ses sujets et leur rendre haute et basse justice. Ce portique a disparu lors de la suppression du cimetière qui entourait l'église.

         Notre village n'était pas pour cela exempt de la juridiction seigneuriale, car de leur côté, quatre seigneurs jugeaient eux aussi les leurs, ceux-ci dans chacun des angles de "la halle" qui fût incendiée en 1793 lors de la période révolutionnaire.

         Comme nous l'avons vu, la dîme indivise était reçue dans une grange. Après le battage, chacun des bénéficiaires enlevait sa part de grains. On vendait la paille que le pauvre se procurait à vil prix. Des vieillards, témoins oculaires de l'ancien régime, rapportent que cette paille semble avoir plutôt été donnée et qu'une rigueur trop exacte ne présidait pas aux rapports entre seigneurs et manants : "Nous avions de la paille à volonté et si les temps étaient durs, le Chapitre et les seigneurs nous avançaient sans intérêts ce dont nous avions besoin".

       Certes le peuple, tiraillé par des exigences de toutes sortes, donne d'abord l'impression de vivre comme en esclavage. Il ne faut pas s'y tromper, au moins en ce qui concerne Ludes et ses environs. Les gens de Ludes jouissaient d'une certaine autonomie.

    Dès le XIIe siècle, les rois émancipèrent peu à peu les communes. Il y eut lutte. Le peuple prit le dessus en un lieu, fût vaincu en un autre. Il faut que les habitants de Ludes se soient maintenus en leurs droits, car ils eurent une grande puissance sous le nom de "communauté".

     La Communauté connaissait de tout : au religieux comme au civil. L'affaire était-elle d'église, le peuple en délibérait dans la nef principale. S'il s'agissait d'intérêts communs, la question était mise en délibération sous la halle.

      En 1633, sous cette Communauté, le Chapitre devait entretenir la nef de l'église, le Temple, le chœur.

      En 1643, Saint Vincent de Paul fit prêcher en l'église de Ludes une "Mission" comme à Sillery, ce qui a fait dire à tort ou à raison, qu'il y était venu lui-même.

     Dans une vie de ce saint, on lit : "que des missionnaires envoyés en Champagne après la Mission donnée à Sedan, vinrent à Sillery , ce lieu considérable par lui-même était réduit à 80 habitants, la misère et la famine du temps avait alors fait périr tous les autres. La Mission coûta peu et consola beaucoup. Celles de Ludes et de Fontaine qui suivirent, coûtèrent davantage, mais enfin l'une et l'autre dédommagèrent les ouvriers de leur peine. A Ludes, les cabarets furent prohibés, les assemblées de nuit interdites, les jurements bannis. On allait d'une maison à l'autre se mettre à genoux devant ceux qu'on croyait avoir offensé et leur demander pardon. Enfin, quoique les temps fussent encore durs, on avait passé de mauvais jours qui ne finirent pas de sitôt, on prit des mesures efficaces pour achever les bâtiments de l'église.

 

         Les dîmes évaluées à 1000 f. de revenus en 1684 étaient partagées, moitié à l'abbaye de Saint Remy, un quart au commandeur de Reims, un quart au curé : elles se composaient de la 13ème gerbe et de 4 pots par pièce de vin.

      L'église de Ludes est dédiée à saint Jean-Baptiste, à la présentation du commandeur de Reims. C'est un monument considérable où le XV ème siècle domine : chœur percé de 9 fenêtres ogivales, très large transept, quatre piliers colossaux soutiennent la croisée. Les nefs sont romanes : sur l'un des chapiteaux de la basse nef du sud on a sculpté postérieurement trois écussons. A l'extrémité de la grande nef est un vaste vestibule restauré aux frais de la communauté en 1658. Devant le portail git une pierre tombale d'un curé du lieu datant du XIV ème siècle, mais la légende est illisible. Au-dessus du chœur s'élève une lourde tour carrée à ouvertures romanes géminées. Je noterai encore une vieille statuette de Saint Jean-Baptiste dans une niche au-dessus de la porte du cimetière. Le maître autel, tout en marbre et en pierre blanche est magnifique : il date du XVII ème siècle. Au centre est un tableau représentant le baptême de Notre Seigneur, surmonté d'une belle statue de la Vierge. De chaque côté, des écussons dont les attributs sont effacés.

         En 1682, la fabrique possédait un ciboire, 2 calices, une patène, un soleil, des burettes, 2 paix, une boite, deux croix, deux chandeliers en argent, plus 150 livres à charge de quinze obits ; 485 communiants ; école. Un accord du 29 avril 1633 entre le chapitre de Reims et la communauté mit à la charge de celle-ci toutes les réparations quelconques de l'église, moyennant une rente perpétuelle de 12 livres.

         Chaque feu payait au seigneur 10 sols ou une poule vive à la Saint-Martin.

         Les guerres de religion éprouvèrent durement Ludes et les pays voisins.

         En 1649, les mercenaires étrangers du baron d'Erlach, lui-même à la solde du prince de Condé, rançonnèrent et vexèrent le pauvre peuple. L'ennemi, sur les étendards duquel on lisait : "Frappe fort - Prends tout et ne rends rien", ne trouvant plus rien à prendre dans les villages, s'attaqua aux châteaux et aux lieux de refuge.

         Il mit le feu à Sept-Saulx, à Nogent l'Abbesse, à Ludes, à St Basle, à St Thierry, etc... Tous furent généralement pillés sans distinction, le gentilhomme aussi bien que le fermier.

         Depuis Rilly jusqu'à Villers-Marmery, les habitants durent s'enfuirent dans les bois de la montagne ou se cacher dans "les Naux", emportant avec eux ce qu'ils pouvaient de bétail ou d'objets précieux.

         Fin de juin 1652, les soldats lorrains revinrent, et avant le clocher de l'église terminé, Ludes fût à nouveau saccagé par les armées du Duc Charles.

         "Les Naux : aux évènements qui ont amené la ruine de nos villages, il faut sans doute rapporter l'origine ou l'usage de ces galeries souterraines que l'on trouve dans un certain nombre de localités et désignées par les habitants sous les noms de "trous de faits" ou "trous de fées" communiquant avec l'église et où ceux-ci se réfugiaient aux jours de périls.

         Ceux de Mailly, découverts en 1858 dans la propriété de monsieur Perrier, présentaient 4 galeries d'un développement de 35 mètres, qui se réunissaient en un point circulaire de 2 mètres de diamètre.

         Des chemins tortueux, profonds et couverts, appelés "mardelles, bauves, naux ou noues" correspondaient à ces souterrains hors des villages.

         Ludes dût posséder les siens car un lieu-dit de son terroir reste toujours dénommé "Les Naux".